Enfanter un livre.

Des émois de l’annonce au post-partum littéraire.

Le processus d’écriture a beaucoup de similitudes avec le fait d’attendre un enfant. Du moins, de l’idée que je m’en fais, puisque je n’ai jamais vécu de grossesse. La discrétion des premiers mois, l’annonce publique, les yoyos émotionnels jusqu’à la naissance et la présentation de l’être cher au monde entier, suivie d’une phase de post-partum.

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Les premiers mois dans la confidence

Je me souviens avec nostalgie de l’excitation ressentie lors de la signature de mon contrat d’édition. Le tout premier ! Un rêve d’enfant se réalise. Mon nom sur la couverture d’un livre. Je suis aux anges et m’imagine pouvoir vivre de ma plume, partir vivre à la campagne et faire de longues promenades en forêt en quête d’inspiration… Puis, incidieusement, une autre émotion pointe le bout de son museau : la peur. Et si je n’arrive pas aller jusqu’au bout ? Et si mon éditeur trouve que je n’écris pas si bien que ça ? Et si le livre ne fonctionne pas ?
Des suppositions qui ternissent mon engouement, me poussant à rester discrète sur ce projet, encore au stade embryonnaire. Première échographie de cet ouvrage, l’ébauche de sommaire marque le début de son existence. Superstitieuse, je ne partage l’heureux événement qu’à quelques proches. Celles et ceux qui sont toujours là, dans les bonnes comme les mauvaises phases. Autant vous dire que je peux les compter sur les doigts d’une main. C’est la règle implicite des “trois premiers mois” bien connue des jeunes parents. On évite d’annoncer la nouvelle à trop de gens de peur de faire une fausse couche. Alors on garde tout cela à l’intérieur : les angoisses, les peurs, mais aussi la joie et l’excitation.

L’annonce, les hauts… et les bas

Après avoir écrit une centaine de pages et reçu des retours positifs de mon éditeur, mon ego s’enveloppe d’une petite couche protectrice. Une mince pellicule qui me rassure et me donne envie de parler de ce projet, qui occupe désormais une grande partie de mes journées et mes nuits. Quand on me demande sur quoi je travaille en ce moment, je réponds timidement que j’écris un livre. Je n’assume pas complètement. J’ai conscience que la figure de l’auteurice cristallise de nombreux fantasmes, parfois très éloignés de la réalité. Non, je ne pars pas à la campagne en me coupant d’internet pour me consacrer uniquement à l’écriture. Bien sûr que j’en rêve mais je ne peux pas me permettre d’arrêter de travailler sur les autres projets. Nombreux sont celles et ceux qui s’imaginent qu’on touche une généreuse avance et qu’on va devenir riche. C’est rarement le cas pour un premier ouvrage.

L’écriture fascine. Les questions fusent. Chaque “comment” me donne l’impression qu’on me demande d’expliquer le pourquoi. Pourquoi moi et pas un·e autre, plus reconnu·e, plus populaire ou mieux intégré·e ? Je suis mal à l’aise avec le regard des certaines personnes qui changent. De l’OVNI, je deviens “cool” dans les discussions. Chaque conversation sur le sujet me rappelle qu’au lieu d’en parler, je ferais peut-être mieux de l’écrire, ce livre. Je m’en veux d’apprécier certains de ces échanges, punissant un ego qui ne devrait pas avoir sa place dans ce processus créatif. N’ayant aucun référentiel, je ne sais pas si je suis productive ou pas. Si mon rythme est bon, si c’est normal d’écrire 20 pages en une nuit et soudainement plus rien pendant une semaine. Écrire un livre, c’est environ 80% de doute et 20% de véritable écriture. Passé le doute, lorsque j’entre dans une phase d’écriture, je me sens habitée. J’en oublie de manger, de boire et de dormir. Mes doigts suivent ma pensée et tout s’enchaîne très vite. Je chéris ces soirées solitaires, le silence des nuits où je ne fais qu’une avec ce bébé-livre qui grandit en moi. On est connectés. Je caresse les belles tournures, cajole les enchaînements logiques et câline les transitions finement menées. Les mots sortent parfois de moi avec une fluidité déconcertante. Ils se bousculent dans ma tête, m’obligeant à me lever en pleine nuit pour ne pas risquer de les perdre. Je revois mon alimentation pour m’assurer de rester productive. J’arrête de boire de l’alcool et tout ce qui peut perturber mon état de conscience. Mes journées sont calibrées : 1h d’écriture, 15min de pause, 1h d’écriture et ainsi de suite jusqu’à ce que je sois affamée ou épuisée. Je ne vis plus que pour cet ouvrage, il est en moi, avec moi, il me parle. Il a désormais un nom. Il existe. Même si notre avenir commun est encore incertain, je sais qu’il verra le jour et que nous grandirons ensemble.

Les derniers mois et la naissance

Plus je me rapproche de la date de rendu du manuscrit et plus cela devient difficile. Je n’embrasse plus les nuits d’écriture comme avant. Les crises d’angoisse sont plus fréquentes. Ce n’est jamais assez bien, jamais assez vite. Il ne reste que quelques mois, quelques semaines, quelques heures. Je ne vis plus que pour lui. Hors du monde, je m’isole pour lui laisser toute la place. Je ne sais plus parler d’autres sujets. Mes jérémiades en lassent plus d’un·e. De quoi je me plains ? C’est ce que je voulais non ? Ce n’était pas ça ton rêve ? Tu pensais que ça allait être tout rose ? L’être cher grandit en moi et doit cohabiter avec la vraie vie. Celle où il faut trouver un appartement, puis un autre. Emballer et déballer des cartons, répondre aux messages, payer le loyer, relancer les client·es, suivre les études reprises avant cette nouvelle. Le tout saupoudré de règles de confinement qui me coupent de tout ce qui pourraient me permettre de m’évader. Je suis surmenée, épuisée par mon cerveau qui ne sait pas comment se mettre en pause. L’envoi du manuscrit est décalé une fois. Puis deux. Puis trois. La dernière chance. Mes vacances sont sacrifiées sur le sacro-saint hôtel de l’écriture, plusieurs amitiés se voient écorchées au passage. Il m’obsède. Tout tourne autour de lui. La pression augmente et les journées n’ont jamais assez d’heures, mon corps et mon cerveau jamais assez d’énergie. Je finis par l’envoyer. Ce document Word modifié mille et une fois. Naïve, je pense qu’il s’agit de la naissance alors que ce n’est que du début des contractions.

Des premières contractions à l’accouchement : relecture et départ en imprimerie

La phase de relecture commence et une nouvelle personne entre dans ma vie : Emmanuelle, ma correctrice. Premier être qui découvre mon livre, elle me rassure et m’accompagne, véritable doula dans ce processus si nouveau. Ensemble on corrige, on ré-écrit, on organise jusqu’à la phase de correction des épreuves, la dernière relecture avant le départ en imprimerie. Jusqu’au dernier jour, aux dernières heures, je veux faire des modifications. À la fin plus rien ne va, je veux en finir, sans accepter de lâcher du leste. Il ne se passe pas un jour sans que j’écrive à mon éditeur : le nom de cette podcasteuse est mal orthographié, la mise en forme ne va pas, il faut changer la couverture… Je m’accroche à tout ce que je peux contrôler par crainte de l’inconnu, de l’impression définitive et indélébile de ce qui m’a occupée les neuf derniers mois. On finit par me raisonner quand la date de départ en imprimerie approche. Je ne suis pas totalement satisfaite mais je sens que j’ai atteint les limites de patience de mon entourage et de la maison d’édition. Cela fait bien longtemps que je n’écoute plus ma fatigue. Le processus d’impression me semble durer une éternité. Jusqu’au jour où je reçois l’enfant promis. Je l’ai dans les bras pour la première fois. Je suis émue. Je ne l’imaginais pas comme cela. Il n’est pas parfait mais il existe et c’est déjà merveilleux. Est-ce que j’ai été envahie par cette vague d’amour dont parlent les jeunes parents ? Peut-être bien…

Faire-part de naissance et post-partum

Vient alors la phase de promotion. C’est mon premier livre et je ne suis personne. Mon réseau est restreint et il a souffert de cette année de travail solitaire. Je n’ai pas des dizaines de milliers d’abonné·es. Je peine toujours à me présenter en quelques phrases. J’ai plusieurs casquettes et je suis souvent la seule à comprendre la logique qui les lient. C’est une chose de savoir communiquer pour des marques. C’en est une autre de le faire pour soi. Je réponds aux premières interviews, me rends au festival du podcast, joue ce jeu du networking qui ne me ressemble pas. J’accepte les compliments de personnes que je ne connais pas et qui n’ont souvent même pas lu la quatrième de couverture. Mon éditeur organise une signature dans une librairie et cela me semble complètement surréaliste. Pourtant c’est bien moi. Je signe les premiers autographes, avec mon stylo fétiche et une bonne quinzaine de minute à réfléchir sur chaque mot. Ouragan dans la vie routinière de cette dernière année, j’ai du mal à suivre ce rythme effréné. Le retour au bercail est douloureux. Je dors beaucoup et ne comprends plus trop le sens de ma vie. Le livre était au centre de tout. Il m’a sauvée d’une rupture douloureuse, m’a permis de ne pas sombrer. Il donnait du sens à mon existence. C’était mon tout et il ne m’appartient désormais plus. Dans les rayons des libraires, il m’échappe. S’il y a bien quelque chose que je n’ai pas anticipé, c’est cet après. Naïvement, je m’imaginais que ma vie allait changer. Sauf que tout redevient comme avant. Toutes les tâches procrastinées reviennent sur le devant de la scène. Je reprends le cours de ma vie, l’effervescence de la sortie du livre est passée et me voilà à nouveau épuisée. Je pleure souvent. Je me sens triste et vide. J’entre dans une phase dépressive alors que cela devrait être le summum de la gloire non ? Mais enfin, j’ai mon nom sur un livre n’est-ce pas ? En riant, je dis à mon entourage que je suis en post-partum. L’expression amuse alors que je suis en miette. Ombre de moi-même dans un tourbillon d’émotions que personne ne semble comprendre. “Mais tu devrais être contente !”, “Tu as réussi à aller jusqu’au bout !”. Non, je n’y arrive pas. Pas encore.

“Alors, c’est pour quand le deuxième ?”.

Et puis, doucement, je remonte la pente. Mon loyer ne va pas se payer tout seul. Il faut se remettre au travail. Après un an d’absence, me revoilà à relancer mes contacts, à mettre à jour mon profil et à proposer des piges. Je comprends que me livre me rend plus crédible sur le marché. Surtout, il faut continuer à en faire la promotion. Il ne va pas se faire connaître tout seul. Parfois, j’ai même envie de ne plus en entendre parler. Puis, un jour, je feuillete mon carnet d’écriture, celui dans lequel je vide ma tête chaque matin. Je relis ces idées déposées et remises à l’après. Clairement, tout n’est pas à jeter. J’oscille, j’hésite, je tente, j’explore. Peu à peu, je commence à retrouver du goût à la création, à embrasser la liberté de ne pas être enchaîné à un seul et unique projet. Je dessine les contours, rature, pitche, rumine. Tout cela reste encore en moi. C’est trop neuf pour être partagé. J’embrasse la liberté du secret, de n’avoir que peu de personnes dans la confidence.

On dirait bien qu’un nouveau cycle commence.


La vidéo : Ce Réel du compte La nuit remue, sur le secret des premiers mois d’une autrice
La vidéo : 
You Treat Me Like a Fool – Pitto
L’article
 : J’ai répondu aux questions de Mathilde Pardal sur ma routine créative
Le podcast : Sophie Marie Larrouy : Prends-toi au sérieux !, dans Nouvelle Ecole