Si tu nourris le troll, il grandit. Si tu l’affames, il meurt.

Rencontre avec ce qu’Internet fait de plus beau.

En juillet dernier, je publie un post annonçant que j’ai terminé d’écrire mon livre, après de longs mois d’écriture solitaire et acharnée. Eh bien figurez-vous que grâce à cette publication, j’ai eu l’honneur de faire la rencontre d’une figure bien connue des Internet, j’ai nommé le “haters”, aussi appelé “trolls” ou “rageux”. Explications.

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Souviens-toi l’été dernier

Nous sommes le 16 juillet, il fait chaud et je me sens d’humeur joyeuse. Je viens d’envoyer le manuscrit de mon livre à mon éditeur. Pour votre gouverne, on est censé dire “compuscrit”, parce qu’il a été écrit à l’aide d’un système de traitement de texte. Bref. La date d’envoi a été décalée plusieurs fois et c’était ma dernière option pour que l’ouvrage sorte au moment de la rentrée littéraire. Autant vous dire que le soulagement est de mise et j’ai envie de célébrer cela. Animée par cet enthousiasme, j’imprime la première page, que je place avec soin sur un tas de feuilles blanches (parce que la planète) et je dépose mon casque à côté. C’est pourtant pas une mise en scène de dingue, mais il me faut tout de même une bonne demi-heure avant d’obtenir la bonne photo. Puis, j’écris, réécris, rérérécrit un texte pour accompagner ce visuel, que je compte poster sur Instagram et Twitter. Comme un tweet vaut mieux que mille caractères, je vous laisse admirer le chef-d’œuvre :

La douche froide

Une fois en ligne, j’observe les petits cœurs se multiplier avec satisfaction. Je ferme l’écran de mon ordinateur et sort profiter de cette merveilleuse saison qu’est l’été. Le soir venu, je découvre que mon tweet comptabilise plus de 200 likes, soit beaucoup plus que ce que j’obtiens d’habitude. Mmmh… Je veux bien croire que les gens sont contents pour moi, mais là, c’est louche. Pour comprendre, je vais voir les personnes qui ont partagé ledit tweet et mon petit cœur d’hypersensible se serre : le tweet a été cité par un podcasteur connu qui se moque en indiquant « Appuyez sur REC et parlez dans le micro ». Il enchaîne plusieurs publications où il liste des clichés de ce que doit avoir un “bon podcast”. Il a plus de vingt-mille abonnés et plusieurs d’entre eux continuent la “blague” : “Ça fait beaucoup de pages pour aussi peu de mots“, “Chapitre 1 : savoir mettre un compresseur sur une piste audio / Chapitre 2 : donner son avis sur des sujets qu’on connaît vaguement / Postface : comme tout le reste ça marche mieux si vous êtes un homme blanc“ (posté par un homme blanc qui fait des podcasts 😬), “245 pages sur du vent, les connexions dans les maisons d’édition sont monstrueuses, ça fait vraiment de l’argent sur de l’O2 c’est fou”. Même si ces critiques ne me visent pas directement, je suis sous le choc parce que c’est complètement gratuit. C’est vraiment pour le plaisir de cracher sur quelqu’un·e. Ils sont tous là en train de se taper sur la cuisse en se moquant de ce que je viens de faire.

 
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“Sacré Bobby ! Toujours des blagues drôles dans la poche petit canaillou !”

Choisir un mode opératoire

Il existe une règle d’or sur Internet, bien connue des community managers, qui consiste à dire “Don’t feed the troll”. J’ai travaillé dans cet univers pendant dans années. On me l’a enseignée très tôt. Je l’ai appliquée pour des marques et la recommandais sans cesse aux personnes que je formais. Et pourtant, là, l’attaque me vise et mon premier réflexe est de répondre. Je veux me défendre. Je suis en colère. C’est injuste. Pour qui se prennent-t-ils ? Je n’ai aucune “connexion dans des maisons d’édition” et l’avance que j’ai touchée est loin de ce qu’on peut appeler “faire de l’argent”. C’est mon bon droit que de leur expliquer qu’ils ont tort non ? Mais… pourquoi devrais-je me justifier face à des parfaits inconnus ?
Autre option : l’humour. Jouer sur l’ironie, l’autodérision. Pourquoi ne pas leur proposer d’écrire la préface, puisqu’ils ont l’air de si bien s’y connaître ? Sauf que je n’ai aucune envie de rire avec ces types. Ce serait rentrer dans leur jeu. Leur montrer que d’une certaine manière, ils ont raison de se moquer de moi. Il n’y a rien de drôle à dévaloriser le travail de quelqu’un·e. Ils ne me connaissent pas. Ils n’ont pas lu mon livre. Je consulte les profils de ces trolls et sans grande surprise, ce sont tous des hommes, blancs, trentenaires, qui ont précisé dans leur bio Twitter qu’ils ont un podcast. Un joli petit boys club, sauce masculinité toxique. Tout ce qu’Internet a fait de mieux.

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“Et là j’ai dit : Pouet pouet, ferme ta boite à camembert, tu pues !”

Seule face à la meute

Je consulte un tas d’articles sur le sujet. J’ai besoin de comprendre, de trouver une stratégie qui ne risque pas d’amplifier le phénomène. Je réalise que j’ai peur parce que des hommes m’ont déjà cyberharcelée par le passé et je n’ai aucune envie de revivre cette expérience. Quand ça vous arrive une fois, croyez-moi, votre cerveau et votre corps s’en souviennent parfaitement. On n’oublie jamais un traumatisme, on apprend à vivre avec. Les scénarios s’enchaînent dans ma tête. Ce podcasteur influent sait très bien ce qu’il fait en partageant ce tweet moqueur auprès de ses dizaines de milliers d’abonnés. Il a conscience que sa petite meute va lui taper sur l’épaule pour le féliciter de son humour noir et piquant. Il cherche l’approbation de ses pairs en humiliant autrui. Je suis seule face à un groupe. Si je suis trop piquante et que je blesse l’ego de ce grand patron des pauvres types, c’est risqué. Est-ce qu’ils pourraient aller jusqu’à lancer un raid ? Est-ce que certains vont m’insulter ou me menacer par messages privés ? Je suis une femme, queer et militante. J’ai bien conscience que je représente beaucoup de choses qui ne leur plaisent pas.

Passage à l’action

Au cours de mes lectures, je prends conscience que peu importe ce qu’on crée, à partir du moment où on expose ladite création au public, la critique est inévitable. Elle peut être constructive et diplomate mais aussi non fondée et virulente. Pour ce dernier cas de figure, il est intéressant de s’intéresser au profil de celleux qui l’émettent. Généralement, ces personnes ne vous connaissent pas et n’ont même pas pris la peine d’observer ou écouter votre contenu. Leurs commentaires n’ont rien à voir avec vous mais plutôt ce que vous représentez pour elleux : quelqu’un·e qui ose. C’est leur frustration qui parle. Celle de ne pas s’autoriser à créer, qui est partagée par bon nombre d’entre nous. Partager le fruit d’un travail aux yeux de tou·te·s, cela demande du courage. Chaque fois que je le fais, j’ai l’impression d’être nue, face à une foule prête à commenter chaque partie de mon physique. Certain·e·s le valident et d’autres non. C’est à la fois un booster et un killer d’ego. Je le sais. Mais je n’ai pas envie de m’empêcher de partager des choses à cause de la frustration d’autrui, parce que mon travail a du sens pour moi. Suite à ces réflexions, je n’ai plus du tout envie de répondre. Aucune réplique ne les fera changer d’avis. Je les ignore. En revanche, je suis en colère et j’ai besoin de la faire sortir, si possible de façon constructive. J’ai une idée : ajouter un encart sur les “haters” dans mon livre afin d’aider les créateurs et créatrices de podcast qui seraient confronté·e·s à la même situation.

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L’encart en question, au cas où vous ne l’auriez pas deviné

Donc voilà, tout ça pour dire qu’il est important de réfléchir à deux fois avant de critiquer la création de quelqu’un·e sur les réseaux sociaux. Ces propos blessent, même quand il n’y a pas d’attaque personnelle ou d’insultes. Bien sûr, on vous dira de ne pas les lire, de ne pas en tenir compte, d’être “au-dessus de tout ça”. Mais dans mon cas, c’est tout simplement impossible. Si je partage un contenu, c’est pour obtenir un retour. En revanche, je pense qu’on aurait tous et toutes à gagner à se poser une question avant de commenter quelque chose sur Internet (et je suis tout autant concernée que vous) : est-ce que j’oserais émettre cette critique si j’étais en face de la personne ? Si la réponse est non, abstenons-nous.

À bon entendeur.


La vidéo : Cette interview d’Anaïs Rheims, par Scroll.fr qui modère les comptes de plusieurs créatrices de contenus féministes.

La musique : Be Svendsen – Drop The Gun