Sorry not sorry.

Petite réflexion sur l’excuse.

Pendant de longues années, je me suis beaucoup excusée. Désolée de déranger, d’être en retard, de ne pas respecter une deadline, de pleurer, de parler trop fort… J’étais à deux doigts de m’excuser d’exister…

L’excuse de trop

2018. Je travaille dans une agence de publicité, pour une cliente très exigeante, qui ne cesse de m’imposer des délais de livraison hyper courts. Il n’est pas rare qu’elle m’appelle en panique, à 19h, pour me demander de réaliser le reporting social media des 6 derniers mois. À livrer pour le lendemain, 9h. Je ne m’entends pas avec mon boss, qui me force à répondre à toutes ces demandes car “ils nous paient chers”. Comme vous vous en doutez sûrement, cet argent n’arrive pas dans mes poches. Je n’ai pas vraiment le choix, alors je travaille tard, souvent la nuit pour répondre à ses demandes. Quand l’objectif n’est pas atteint, je dois gérer son mécontentement, que j’essaie d’apaiser tant bien que mal. Je ne me sens pas à la hauteur et je me confonds en excuses. Je comprendrai plus tard que c’est une forme de maltraitance au travail, mais ce n’est pas le sujet.

Un jour, elle est en colère car le compte Instagram de sa marque n’a pas recruté assez d’abonné·e·s à son goût. Elle me demande d’expliquer pourquoi les chiffres n’augmentent pas depuis la semaine passée. Alors que je commence mon argumentaire, elle me coupe et dit d’un ton sec “Je ne veux pas des excuses Noémie, je veux des solutions”. Je bloque, sous le choc de cette phrase. Une boule se forme dans ma gorge. Je ne réponds pas. L’appel se termine et je m’effondre devant mon équipe. Je me sens incompétente et nulle de ne pas avoir su argumenter, de m’être faite humilier. Puis, bonne poire, j’essaie de comprendre pourquoi elle a agi ainsi. Elle doit subir beaucoup de pression de la part de ses supérieur·e·s, ce n’est peut-être pas contre moi… Enfin, je sens qu’une autre émotion monte en moi : la colère. En quoi suis-je responsable du comportement de milliers d’internautes et d’un algorithme opaque ? Pour qui se prend-elle de me parler de la sorte ? Et surtout : pourquoi me suis-je excusée ?

Oui bon… Je n’ai pas vraiment fait ça. Mais j’en avais très envie, ça compte ?

La remise en question

À partir de ce moment, je réalise que je m’excuse constamment pour des choses dont je ne suis pas responsable. Je retravaille mes tournures de phrases et éradique tous les “désolée” non nécessaires. Je ne lui laisserais plus la possibilité de se défouler sur moi. Je remarque que cela me positionne moins dans une position inférieure et rééquilibre – un peu – le rapport de force qu’elle instaure avec moi. Depuis cet épisode, je m’applique à ne pas présenter d’excuses pour des choses qui ne relèvent pas de moi. Je m’excuse moins d’exister et par la même occasion, je développe mon estime de moi. C’est long et fastidieux mais le soulagement que cela procure n’a pas de prix. Cette prise de conscience ne s’est pas limitée au monde professionnel. Je l’ai aussi étendu à ma vie personnelle. Pendant une période, je suis dans une phase de rejet des excuses. Je me dis que c’est une manière d’encourager les gens à m’accepter pour qui je suis, avec mes défauts, mes maladresses, mon impulsivité et mes retards (TDAH tmtc). Sauf que je deviens dure et intransigeante. Il faut revoir la méthode.

L’adaptation

Au niveau de la théorie, cela me semble important de toujours me demander si je suis responsable de ce pour quoi je suis désolée. En revanche, certaines excuses sont nécessaires pour reconnaître et respecter l’Autre. Un petit travail autour de la formulation s’impose : “Je te présente mes excuses” et “je suis désolée” remplace le “je m’excuse” ou le “excuse-moi”. Pour que le pardon opère, il faut que les excuses soient énoncées, puis acceptées. S’auto-excuser n’a aucun sens et l’impératif manque clairement de diplomatie. Je m’exerce, je me corrige, encore et toujours. Ce n’est pas simple.

Présenter mes excuses, c’est reconnaître que je suis capable de blesser quelqu’un·e. C’est ébrécher l’idée que je ne suis pas toujours une personne bien, que je suis capable de faire souffrir, même si ce n’est pas mon intention. Soyons honnêtes, c’est rare qu’on blesse quelqu’un avec la ferme intention de lui faire du mal. Avoir une bonne ou une mauvaise intention ne change rien sur le ressenti de la personne en face. Le mal est fait. Il faut le reconnaître. Il faut le nommer.
On laisse place à l’empathie, c’est-à-dire la capacité de s’identifier à autrui dans ce qu’iel ressent. Demander pardon, c’est donner la possibilité à l’Autre de ne pas ruminer son émotion pendant des jours, des semaines, des années parfois. C’est montrer que son ressenti est légitime et que notre relation compte. C’est écouter et admettre mes torts, reconnaître et assumer ma responsabilité.

 
excuse-citation

En fouinant sur les Internets, cette citation m’a beaucoup parlée…

Loin de moi l’idée de faire la morale en vantant ma fabuleuse méthode pour présenter des excuses. Je fais encore plein d’erreurs, mes excuses ne sont pas parfaites. Encore trop souvent, j’essaie d’expliquer pourquoi j’ai agi de la sorte, l’état émotionnel dans lequel je me trouvais ou le contexte, alors que ce n’est pas le propos. Mais j’y travaille parce que je sais vers quoi je veux tendre. C’est long, fastidieux et perfectible mais j’apprends. D’ailleurs, accepter de présenter mes excuses m’aide à comprendre quand j’ai besoin d’en recevoir pour passer à autre chose. C’est encore difficile de le demander ouvertement, j’ai parfois beaucoup d’attentes et je suis souvent déçue. Mais je ne désespère pas.

Bien à vous,

Noémie.